Ah, le commentaire d’arrêt… Vous
en avez tous probablement rédigé des douzaines, dans toutes les matières
possibles et imaginables. Est-ce que j’ai vraiment des choses à évoquer encore
sur ce sujet ?
Oui, je le pense.
Non pas que j’ai des choses à
vous apprendre, ou à révéler, mais je vais essayer de modéliser un peu tout ça,
de tracer des catégories et des méthodes qui pourront servir ; lors de
l’épreuve pratique de spécialité, bien sûr, mais également de façon générale
dès que l’on vous demandera votre opinion sur une décision de justice un tant
soit peu fondamentale. Au pire, cela ne sera qu’un rappel sous un jour nouveau.
Que veut-on vraiment de vous ?
L’équation du commentaire d’arrêt
est assez simple : on vous donne une décision, dans l’immense majorité des
cas de la Cour de cassation (un arrêt, donc, par contre si on vous donne une
décision du Conseil constitutionnel et que vous appelez ça un arrêt, considéré
que tout est déjà perdu), et vous avez trois heures pour produire un
commentaire de cet arrêt, en générale entre 6 et 10 pages (fourchette très
large).
La plupart du temps cet arrêt
apportera quelque chose de nouveau à l’état du droit (voir plus bas pour les
« types » d’arrêts), et c’est là que réside l’intérêt du commentaire.
Comme les articles produits par d’éminents professeurs ou de non moins éminents
avocats dans les pages des revues juridiques, il s’agit d’analyser l’intérêt de
l’arrêt, en ce qu’il apporte de nouveau (ou non) au droit applicable.
Commenter un arrêt, c’est donc en expliciter le raisonnement et les
conséquences juridiques, en lui redonnant sa place dans l’évolution du droit
positif, afin de problématiser la question posée et ses enjeux.
D’un coup c’est beaucoup plus
clair non ? Bon, là où ça se corse, c’est que tous les arrêts ne
s’abordent pas de la même manière.
Des différents types d’arrêts à savoir identifier
Pour trouver l’apport de l’arrêt
commenté au droit positif, il faut savoir l’aborder par le bon bout, or cela ne
se fera pas du tout de la même manière selon le type d’arrêt commenté.
J’entends par « type d’arrêt » des grandes catégories dans lesquelles
on peut trier les arrêts couramment proposé pour les commentaires ;
personnellement j’en ai relevé 5.
L’arrêt mille fois connu
C’est l’arrêt que vous avez vu,
en long, en large et en travers en cours. Il est fondateur, parce qu’il
contient un principe général, ou tranche une question fondamentale. En général
ce sont les arrêts qui sont connus par leurs noms, ou par le nom des
parties : Blanco, Jacques Vabres, Perruche, Les Complices, Baldus, etc.
Il est assez rare, dans le cadre
d’un examen, d’avoir ce type d’arrêt. Tout bêtement parce que le commentaire
revient dans ces cas-là, la plupart du temps, à recracher la partie du cours correspondante, ce
qui ne permet pas d’évaluer grand-chose.
Si ça devait arriver :
localisez bien dans votre tête quelle partie du cours est concernée. Vérifiez
bien que c’est le même morceau de l’arrêt qui est proposé, et pas l’attendu du
dessus ou celui du dessous. Les connaissances étant assez facile à mobiliser,
prenez le temps de soigner votre plan et vos titres. Soyez un peu plus
audacieux que d’habitude sur ce qu’il y a autour de l’arrêt (que vous aborderez
en fin de commentaire uniquement), notamment l’influence de cet arrêt sur des
domaines du droit plus large, les résistances qu’il y a pu avoir (en
jurisprudence, et en doctrine), ou encore les évolutions législatives qui ont
suivi. Ne faites pas de fausse naïveté (« Drôlement intéressant cet arrêt
Poussin dis donc, je savais pas tout ça moi ! »), mais ne passez pas
non plus au-dessus des explications fondamentales à apporter, sous prétexte que
l’arrêt est archi-connu. Évitez également de vous détacher totalement du
contenu de l’arrêt dès le premier paragraphe, au risque de rentrer, d’abord
dans la dissertation, et ensuite dans le mur.
Le récent revirement de jurisprudence
C’est, et de loin, le type
d’arrêt le plus intéressant à commenter. Il s’agit
d’un arrêt relativement récent (moins de 5 ans), qui change radicalement la
jurisprudence antérieure. Il est potentiellement un arrêt mille fois connu,
mais en général les implications du revirement sont encore mal connues, ou
alors il n’a pas eu le temps de prendre la place qu’il mérite dans la doctrine,
faute de temps. Il va être beaucoup plus facile de commenter cet arrêt, pourvu
que l’on s’en donne la peine.
Il faut commencer par identifier
le fondement juridique du revirement de jurisprudence : changement de
texte appliqué ? Changement d’interprétation ? Sur quelle base :
nouvelle conception juridique ? Nouvelle théorie qui trouve à
s’appliquer ? Nouveau contexte général pour le domaine du droit
concerné ?
Ne tombez pas dans les deux
facilités qui sont de considérer que :
- Soit l’interprétation n’a changé sur aucune base, par pure volonté spontanée des juges, qui pensaient que ça ne se verrait pas. Les juges, surtout à la Cour de cassation, connaissent parfaitement leur jurisprudence, et les arrêts ont été discutés longuement. Avant de dire qu’il n’y a aucun fondement, réfléchissez bien si ce n’est pas beaucoup plus crédible que vous ne l’ayez pas identifié ;
- Soit que l’arrêt est un arrêt « d’opportunité », ou de « défiance » ; ces arrêts existent, et ils sont extrêmement rares. En général, ils vous auront été indiqué en cours, n’allez pas recourir à cette fausse explication pour éluder un contenu que vous n’avez pas pris le temps de bien analyser.
Une fois le fondement juridique
du revirement trouvé, votre commentaire s’écrira presque de lui-même, vous
n’aurez qu’à donner de la cohérence aux idées, et faire un plan solide et
clair.
La nouvelle
jurisprudence de confirmation (ou l’extension)
Moins intéressant que le
revirement de jurisprudence en tant que tel, il s’agit également d’un arrêt en
général récent. Mais à la différence du réel revirement, il apporte avant tout
une précision, ou une nuance, ou étend un principe à un domaine suffisamment
voisin pour qu'il ne s'agisse pas en soit d'une révolution.
Dans ce cas, il faut identifier le mouvement général dans lequel s'inscrit l'arrêt, ce qui vous permettra de retrouver les arrêts antérieurs qui préfigurent celui que vous commentez; voire s'il existe, le revirement de jurisprudence qui a lancé le mouvement. Il faut ensuite bien identifier le point précis qui est apporté par l'arrêt que vous commentez, et ne pas lui faire dire plus ou moins que ce qu'il ne raconte.
Ici, vos connaissances générales sur le domaine du droit concerné seront importantes, car vous aurez une meilleure vision de la progression de la matière, et donc de l'importance, parfois relative, de l'arrêt proposé.
Dans ce cas, il faut identifier le mouvement général dans lequel s'inscrit l'arrêt, ce qui vous permettra de retrouver les arrêts antérieurs qui préfigurent celui que vous commentez; voire s'il existe, le revirement de jurisprudence qui a lancé le mouvement. Il faut ensuite bien identifier le point précis qui est apporté par l'arrêt que vous commentez, et ne pas lui faire dire plus ou moins que ce qu'il ne raconte.
Ici, vos connaissances générales sur le domaine du droit concerné seront importantes, car vous aurez une meilleure vision de la progression de la matière, et donc de l'importance, parfois relative, de l'arrêt proposé.
L’arrêt
d’application
Assez rare également, il s’agit
d’un arrêt, comme il en existe des milliers, ou la Cour de cassation ne fait
qu’appliquer un droit parfaitement établi dans une triste banalité. La Cour de cassation, par rapport à d'autres Cours Suprêmes, rend énormément d'arrêts, car très peu de pourvois sont filtrés. Il est donc normal qu'il y ait un nombre conséquent d'arrêt qui n'apportent rien de nouveau; le contraire serait extrêmement préoccupant (aux alentours de 30 000 décisions annuelles, ça déprimerait un peu de faire du droit si c'étaient tous des revirements).
Ce type d’arrêt est assez
difficile à commenter, parce qu’il sonne un peu creux en général. Il est
toujours possible de le raccrocher à un arrêt antérieur plus intéressant, ou à
un texte, une évolution législative plus facile à commenter, mais dans ce
cas-là c’est la sortie de route et le hors-sujet qui guette.
Le vieil arrêt
Il s’agit d’arrêt vieux de plus
de 50 ans, pour prendre large, mais qui n’est pas spécialement connu, ni
fondateur de quoi que ce soit, à la différence de la première catégorie. Il a
appartenu, à l’époque, à l’une des 3 catégories citées ci-dessus (revirement,
nouvelle jurisprudence, arrêt d’application), mais maintenant n’a plus qu’une
valeur de témoignage historique.
Je me rappelle encore avec
bonheur d’une enseignante, professeur des universités, qui avait pour habitude
(pour lubie ?) de servir à ses étudiants de façon systématique des arrêts
anciens pour les partiels de sa matière. Et quand je dis ancien, je parle
d’arrêts qui dataient du 19e siècle, dans une matière qui a pourtant
pris son importance actuelle à partir de la moitié du 20e. Il y
avait vraiment de quoi se sentir perdu devant sa feuille, avec son beau code
tout neuf et ses réformes des 20 dernières années bien en tête…
Ce type d’arrêt est en fait assez
intéressant à pratiquer, pour peu que l’on évite certains écueils. Tout
d’abord, celui de rater l’ancienneté de l’arrêt ! Le phrasé de la Cour de
cassation n’a quasiment pas changé en 2 siècles (extrême modernité à l’époque,
ou grand retard aujourd’hui ? Plutôt une constance et une régularité qui
convient bien quand on travaille au quai de l’Horloge), il est donc impératif,
comme pour tout type d’arrêt, de porter attention à la date de la décision. Des
indications comme « Arrêt de la chambre civile » sans numéro, ou
« Chambre des requêtes » doivent également éveiller vos soupçons,
dans une moindre mesure.
Ensuite, regarder bien l’arrêt
pour vous assurer qu’il ne fait pas partie des arrêt « classiques »
de la première catégorie ; encore une fois, un œil dans le code
correspondant vous le dira tout de suite.
Vient ensuite la difficile tâche
d’identifier l’intérêt de l’arrêt, et sa place dans les changements du droit.
Il faut retenir que lorsque l’on donne un arrêt ancien, ce que l’on cherche à
mettre en valeur, c’est comment la question juridique est traitée différemment
(ou non) à l’heure actuelle, et ce que cela implique.
Pour autant, il ne faut JAMAIS commenter un arrêt ancien en se plaçant à notre époque : un arrêt se
commente par rapport à son propre contexte. Une éventuelle mise en perspective
historique pourra être faite, très légèrement en propos introductif, et
principalement dans la dernière partie de votre commentaire.
Pour terminer une brève
présentation de ce genre d’arrêts, il faut bien penser qu’en présence d’un
arrêt ancien et non « fondamentale », votre capacité à raisonner sur
l’ensemble des enjeux de la matière sera bien plus utile que votre connaissance
(supposée) totale des règles applicables. Une certaine connaissance historique
peut être importante également : par exemple, les instruments financiers à
la fin du 19e/début 20e étaient l’apanage des bourgeois
et banquiers ; alors que maintenant, il est rare qu’une personne moyenne
n’ait pas quelques actions sur un PEE, un contrat d’assurance-vie ou des
placements plus ou moins garantis dans des fonds. Le volume et le profil des
activités sont radicalement différents, et le droit qui se calque sur ces comportements
ne pouvaient évidemment pas être le même.
Voilà pour ce qui est des types d'arrêt que vous pourrez rencontrer au cours des épreuves. Notez que ces décisions pourront également vous être soumises lors de l'exposé-discussion (Grand Oral), mais ce sera une autre histoire.
Dans le prochain article, je vous donnerai des conseils sur la création d'un plan pour votre commentaire !
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