Ce texte n’a pas pour vocation de
décrire précisément les études juridiques telles qu’elles se déroulent en
Allemagne, ni d’être un guide pour des épreuves organisées pour devenir avocat
dans ce pays (si en 50 articles de blog on commence à peine à donner un aperçu
de ce que c’est pour la France, il est impossible de faire plus qu’un bref
aperçu avec un seul article pour l’Allemagne !).
Il y a par ailleurs énormément de
choses dans les études juridiques à travers le monde qui s’expliquent à la fois
par les traditions, les habitudes, la conception générale du rôle de l’avocat
et de la justice dans le pays, ainsi que la conception des études
juridiques ; en notant également que dans la plupart des pays, le domaine
du droit et celui des professions juridiques sont souvent des domaines où les
réformes sont très discutées et prennent beaucoup de temps (Coucou la réforme
du droit des contrats ; les avoués ; les avocats
d’entreprises !). Aussi, il faudrait pour être précis faire un historique
général du droit en Allemagne, ce qui n’est pas le propos ici.
Néanmoins, à une période où des
rumeurs portent sur la réforme de l’examen du barreau se font entendre, où les
centres de formations essaient beaucoup de nouvelles choses dans leurs
enseignements (avec plus ou moins de succès, certes) et où les parcours sont de
moins en moins linéaire type « Licence-Master-Stage-Collab », il peut
être bon d’aller voir ce qui se fait ailleurs.
Mais pour que cela soit utile, il
faut se poser les bonnes questions sur chaque point : Est-ce que ça
marche ? Pourquoi ça marche (ou pas) ? Est-ce que c’est
transposable/adaptable efficacement ? Ne nous jetons pas bêtement sur ce
que font les voisins parce que de loin on a l’impression que ça marche, que ça
correspond à nos envies ou que ça semble meilleur que ce que l’on fait chez
nous !
Petit point sur l’auteur et la forme du texte
Sven est ami avocat allemand, qui
pratique les fusions-acquisitions dans un cabinet de taille assez conséquente à
Francfort, place financière majeure de l’Allemagne, et plus largement de
l’Europe. Très ouvert, et ayant été en contact avec d’autres systèmes de droit,
Sven a une réflexion claire et intéressante sur les études juridiques ; le
fait qu’il soit lui-même avocat depuis maintenant quelques temps lui donne le
recul nécessaire pour en parler de la meilleure des manières.
Le texte a été rédigé en anglais,
que j’ai par la suite traduit, nos niveaux respectifs en allemand et français
nous obligeant à passer par l’anglais. Les notes entre crochets [en italique] sont toutes de
moi-même, afin de préciser soit le sens d’une traduction si besoin, soit de
faire une remarque sur le texte lorsque cela est pertinent, et notamment en m’appuyant
sur ce que Sven a pu me dire au cours de nos discussions et qu’il n’a pas
intégré ici.
Petit point sur le marché du droit en Allemagne
Le marché du droit en Allemagne
est globalement le même qu’en France, du fait que ce sont deux pays aux profils
et économies très similaires. On y retrouve les mêmes très gros cabinets
anglo-américains que partout ailleurs ; à cette différence près que leurs
bureaux sont en général plutôt à Francfort qu’à Berlin, la première étant le
véritable centre économique et financier du pays.
A noter quand même que
l’Allemagne est un pays historiquement beaucoup moins centralisé que la France
(14 villes de plus de 500 000 habitants en Allemagne ; 3 en France),
les grandes villes de province et capitales des régions sont de véritables
centres d’affaires, aussi les cabinets sont plus ouverts à s’installer dans ces
villes.
Cette économie plus dispersée
permet aussi de faire vivre des cabinets de taille moyenne, implantés dans des
villes dont le format (population, économie, sièges sociaux d’entreprises,
pouvoirs politiques) n’a pas réellement d’équivalent en France.
Les études juridiques en Allemagne, de l’université au barreau, par Sven, Avocat
Les études juridiques en
Allemagne sont décomposées en deux parties (du moins si vous souhaitez
pratiquer le droit en tant qu’avocat).
La première partie est celle de
l’université, dure au moins 8 semestres et se termine par le « Erstes juristisches Staatsexamen »
- le Premier Examen d’Etat.
La deuxième partie dure 2 ans, et
ne peut être commencée qu’après avoir réussi le premier examen d’état, ne se
déroule pas à l’université mais auprès des juridictions locales, et est
composée principalement de stages et d’expériences pratiques, avec quelques
cours en à côté. Cette seconde partie se termine avec le « Zweites Staatsexamen » - le Second
Examen d’Etat.
Sur la première partie des études
L’enseignement universitaire
La partie qui se déroule à
l’université pose les bases de vos connaissances juridiques. De ce fait, vous
n’avez pas à traiter de la procédure ou du travail auprès des clients, mais
vous suivez des enseignements dans les trois branches majeures du droit :
Droit civil, Droit pénal et Droit administratif.
Les 4 premiers semestres sont les
études de bases « Grundstudium »
et sont évalués sur la base d’un mémoire [Sven utilise ici le terme anglais de « essay »]
et d’un examen écrit pour chacun des domaines mentionnés. Il est possible de se
spécialiser dans une matière particulière dans les semestres suivants, pour
avoir une connaissance plus approfondie en droit des sociétés, droit du
travail, droit pénal, droit procédural, etc. Comme chaque université peut
proposer différents cours spécialisés, il est impossible de dresser une liste
de tous les cours disponibles. Dans vos matières de spécialité, vous devez
rendre un mémoire,
et passer un examen écrit et un examen oral ; les notes obtenues comptent
déjà pour vos notes du Premier Examen d’Etat.
Les examens eux-mêmes (et
également pour le droit civil, pénal et administratif) consiste en général en
un cas type (avec tous les faits pertinents, et même les intentions des
personnes en cause) sur lequel vous devez rédiger une analyse juridique
objective. De fait, le « résultat » n’est pas spécialement évalué,
mais plutôt l’application de la règle de droit et (pour les semestres plus avancés)
la présentation correcte des débats et discussions qui portent sur certains
points de droit [Exercice identique à celui du cas pratique de chez nous].
Le Premier Examen d’Etat
Le Premier Examen d’Etat est
composé de 6 examens écrits en tout (3 en droit civil, 2 en droit administratif
et 1 en droit pénal – je ne suis pas 100% certain cependant, j’ai passé le mien
il y a quelques temps maintenant), qui durent chacun 5 heures ; et de 3
examens oraux (1 par domaine). Une « spécificité » des études
juridiques en Allemagne est que seul l’Examen d’Etat compte. Si vous avez les
meilleurs notes jusque-là, mais que vous ratez l’Examen d’Etat, tout le monde
s’en fiche [Vous pensiez que vos partiels étaient stressants ? Imaginez que vous les passiez tous en même temps en fin de M1…].
C’est encore pire puisque vous ne pouvez passer l’examen que deux fois (une
seule erreur est donc possible).
En lien avec tout cela, vous
devez farder à l’esprit qu’en moyenne un tiers des étudiants ne réussissent pas
l’examen. Si vous ratez le Premier Examen d’Etat deux fois, vous êtes dehors et
n’aurez plus l’occasion de le repasser en Allemagne, ce qui vous laisse avec
quelques connaissances juridiques, beaucoup de temps perdu et rien pour prouver
vos capacités. Vous êtes ramenés en arrière à avoir simplement un diplôme de
lycée ; perspective qui fait exploser le niveau de stress des gens qui le
repassent après avoir échoué une première fois [Comme quoi, la sélection forte en fin de L1 peut paraître dure, mais elle peut sembler plus « humaine » qu’une sélection après 4 ans d’études].
La seconde partie
La seconde partie est la
« partie en juridiction » [Effectivement, cette partie qui correspond plus ou moins à l’EFB, est gérée par les juridictions, alors qu’en France c’est le Barreau local qui s’en occupe ; probablement un vestige de l’Histoire],
beaucoup plus orientée vers la pratique puisque vous travaillez déjà à un poste
juridique, supervisé par un professionnel plus expérimenté. Elle est décomposée
en 5 étapes. Vous commencez d’abord par un stage dans un tribunal civil,
supervisé par un juge [Sven utilise ici le terme « Clerkship », qui n’est pas tout à faire un stage. Il s’agit en vérité d’exercer les fonctions d’un super-greffier auprès du juge (recherches juridiques, rédaction de décisions, etc.). Il est également possible d’exercer les pouvoirs du juge lors de certaines audiences, sous sa supervision].
Puis, habituellement vous travaillez auprès d’un procureur local et représentez
le parquet devant les tribunaux [Encore une fois, il s’agira notamment d’exercer réellement les pouvoirs du procureur lors d’audiences, et non d’un simple stage comme on peut le comprendre à première vue].
Ensuite, vous pouvez choisir librement votre premier stage en cabinet, dans le
cabinet que vous souhaitez. Par la suite, vous effectuez un stage dans une
administration locale, et encore un stage dans un cabinet, qui peut être le
même que pour le premier stage, ou différent.
C’est pendant ce second stage en
cabinet qu’a lieu la partie écrite du Second Examen d’Etat, ce qui fait que la
plupart des gens ne travaillent pas beaucoup pour le cabinet durant ce second
stage, mais révise plutôt pour l’examen. Entre la partie écrite de l’examen, et
la partie orale, se déroule le « Wahlstation »,
où vous êtes totalement libre de choisir dans quel type de poste vous souhaitez
travailler. Beaucoup de gens utilisent cette étape pour partir à l’étranger [Par exemple, pour passer un LLM, ou effectuer un stage dans une structure étrangère].
Le Second Examen d’Etat
Le Second Examen d’Etat consiste
en un total de 8 examens écrits (pour autant que je me rappelle, 4 en droit
civil, 2 en droit administratif et 2 en droit pénal) et de 4 examens oraux (1
dans chacun des 3 grands domaines du droit, et 1 dans une matière choisie). A
la différence du Premier Examen d’Etat, le Second Examen est plus proche d’un
travail pratique : on vous donne un dossier et vous demande d’extraire les
faits importants, pour ensuite rédiger une décision de justice, une assignation
ou un acte similaire [Comme les examens du CAPA, mais de ce que j’ai cru comprendre, en mieux fait (et en plus sélectif)].
Vous avez la possibilité de passer l’examen deux fois également, mais au moins
si vous échouez deux fois, vous êtes quand même titulaires du Premier Examen et
pouvez travailler comme juriste dans une entreprise. Toutefois, vous ne pourrez
pas exercer comme avocat devant un tribunal ou faire du conseil juridique de la
même manière qu’un avocat [Exactement la même différence qu’en France entre juristes et avocats, donc].
Une autre chose importante dans
les études juridiques allemandes est l’importance des notes obtenues pendant
les Examens d’Etats. Dire qu’elles vous suivront toute votre vie serait
amoindrir leur importance réelle. Chaque cabinet, entreprise ou opportunité
d’emploi vous demandera toujours vos notes obtenues aux Examens d’Etat et vous
« traiteront » différemment en fonction de ces notes. De ce fait, les
emplois dans les grands cabinets d’avocats vous demanderont toujours d’avoir
une certaine note minimum, ce qui élimine d’avance une grande partie des
avocats [Je suis personnellement horrifié à cette idée, mais je peux comprendre la logique derrière. Elle repose néanmoins sur l’idée que le Second Examen constitue une évaluation objective précise et de qualité des capacités des étudiants. Or, ni l’examen d’entrée au CRFPA ni le CAPA ne présentent le gage de sérieux et de qualité suffisant pour envisager à court ou moyen terme quelque chose de proche en France].
Conclusion
Pour résumer, les études de droit
en Allemagne sont perçues – au moins en Allemagne –comme parmi les plus longues
(au moins 6 ans ; l’étudiant moyen ayant besoin de 7 à 8 ans) et les plus
difficiles qu’il est possible de suivre [Je me demande comment sont perçues les études de droit en France, par ceux qui y sont extérieurs ?].
Elle réclame également des étudiants une grande part de motivation personnelle,
car aucun des cours de l’université (sauf certains pendant les tous premiers semestres)
ne sont obligatoires. Mais, et c’est le point positif, si vous réussissez à
suivre vos études de droit avec des notes correctes pendant vos Examens
d’Etats, le marché du travail pour les avocats est plutôt bon, et les salaires
de départ dépassent de façon significative ceux de la plupart des autres
emplois [Les salaires à postes équivalents dans les cabinets internationaux sont globalement les mêmes entre la France et l’Allemagne, ce qui semble assez logique (mêmes cabinets, mêmes compétences, mêmes niveau de vie, etc.)].
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